Une crypto-monnaie peut-elle être qualifiée de bien économique ? Oui, non, peut-être – la question n’est pas encore tranchée.

Les crypto-monnaies ne cessent de faire parler d’elles – même si les annonces de baisse continue des cours se sont multipliées ces derniers mois, la technologie blockchain sous-jacente recèle une multitude de possibilités d’utilisation pour les entreprises comme pour les particuliers. Le commerce des crypto-monnaies n’est plus un secteur de niche depuis longtemps. Une étude réalisée par le Frankfurt Business Blockchain Center estime à 726 millions d’euros les recettes fiscales annuelles générées par le commerce des crypto-monnaies en 2017.
En revanche, l’encadrement juridique des crypto-monnaies n’est pas encore entièrement au point. Déjà largement débattue, la question de savoir si la crypto-monnaie peut être qualifiée de bien économique ou non en matière fiscale est désormais en instance devant la Cour fédérale des comptes allemande.

Les monnaies virtuelles et leur qualification en bien économique

Il existe une multitude de « jetons crypto » avec diverses variantes possibles. Dans cet article, nous nous intéressons aux monnaies virtuelles qui sont définies avant tout comme devise ou jeton de paiement par le Ministère fédéral des Finances. Les monnaies virtuelles sont utilisées comme moyen de paiement, bien qu’elles n’aient pas le statut légal de monnaie ou d’argent – du moins en Allemagne. Les monnaies virtuelles les plus connues sont notamment Bitcoin, Ether, Litecoin et Ripple.

La question de qualifier une crypto-monnaie de bien économique revêt une importance pratique, notamment pour la classification fiscale des revenus générés de leurs échanges. Tant que les échanges de monnaies virtuelles ou crypto-monnaies ne prennent pas un caractère commercial, les revenus réalisés par l’acquisition et la cession ultérieure de biens économiques constituent des revenus provenant d’opérations de vente privées qui peuvent être exonérés d’impôt en tenant compte d’une période de détention d’un an. Dans la version finale de sa lettre publiée le 10 mai 2022, le Ministère fédéral des Finances s’est prononcé pour la première fois sur des « questions individuelles relatives au traitement fiscal des monnaies virtuelles et des jetons ».

Crypto-monnaie : bien économique ?  Statu Quo

Selon la jurisprudence constante de la Cour fédérale des comptes allemande, les biens économiques sont, en référence à la notion d’« actif », non seulement des biens et des droits au sens du Code civil allemand, mais aussi des conditions réelles et des options concrètes pour lesquelles le commerçant est prêt à débourser afin de les obtenir et qui peuvent être évaluées de manière autonome.

Le ministère fédéral des Finances allemand semble être sûr de la qualité de bien économique des crypto-monnaies. Cet avis est partagé par la majorité des décisions de justice rendues jusqu’à présent en première instance (notamment le Tribunal des Finances de Cologne), puisque celles-ci reconnaissent également une qualité de bien économique aux crypto-monnaies. Seul le Tribunal des Finances de Nuremberg fait exception, celui-ci n’ayant rendu aucune appréciation définitive sur la question. Le Tribunal des Finances de Cologne a autorisé la révision de la décision, qui est à présent en instance devant la Cour fédérale des Finances et constituera la première jurisprudence de la plus haute juridiction allemande sur le sujet. En attendant, la question ne peut pas être tranchée définitivement car de nombreux auteurs d’ouvrages sur ce sujet se prononcent contre la qualité de bien économique des crypto-monnaies, en avançant comme argument principal l’absence partielle de position juridique sûre en la matière.

En l’absence actuelle de décision de la plus haute juridiction, l’insécurité juridique persiste sur la question de savoir si les crypto-monnaies se qualifient réellement, en bloc et dans tous les cas, comme bien économique. La publication de la lettre du Ministère fédéral des Finances a au moins mis fin à l’incertitude sur la position de ce dernier sur la question.

Dans ce contexte, il est recommandé de faire opposition et de demander la suspension de la procédure dans les cas où la qualité de bien économique est désavantageuse.

À qui la crypto-monnaie est-elle attribuable ?

Dans l’hypothèse où les crypto-monnaies seraient un bien économique, celles-ci doivent être attribuées en principe au propriétaire au sens du droit civil, pour autant qu’elles ne soient pas économiquement imputables à une autre personne. La question de l’attribution des crypto-monnaies et de l’existence, au cas par cas, d’une propriété civile ou économique soulève dans la pratique une multitude de questions qui sont actuellement discutées, du moins dans les ouvrages spécialisés. Selon l’administration fiscale, les crypto-monnaies doivent être attribuées au propriétaire qui sera régulièrement le détenteur de la clé privée. Dans les cas dans lesquels la clé privée est rendue accessible à plusieurs personnes, la procédure à suivre n’est toujours pas claire.

Inscription au bilan des crypto-monnaies

En présence d’un bien économique, celui-ci doit être inscrit au bilan du propriétaire (économique) à hauteur de son coût d’acquisition. D’après le Ministère fédéral des Finances, si les crypto-monnaies sont inscrites au bilan en tant qu’actif immobilisé, elles doivent figurer au poste : Immobilisations financières (§ 266 al. 2 A. III. du code de commerce allemand). Dans l’actif circulant, elles sont inscrites au poste : Autres actifs (§ 266 al. 2 B. II. 4. du code de commerce allemand). Ce classement et en particulier la qualification, par le Ministère fédéral des Finances, des crypto-monnaies comme des biens économiques non amortissables ne fait pas l’unanimité et est remis en question dans les milieux spécialisés. En particulier la qualité matérielle des crypto-monnaies tout comme leur classement parmi les immobilisations financières semblent contradictoires, compte tenu du fait qu’elles ne constituent pas un moyen de paiement légal émis par une institution émettrice centrale.

Auteurs / Contacts : Olivia Poirier et Sven Schulz

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