Le couple franco-allemand dans la politique de défense européenne

Alors que le conflit ukrainien atteste de la nécessité d’une défense aérienne performante face à la menace russe, les dirigeants européens peinent à s’entendre sur une réponse commune. Paris et Berlin s’affirment comme les chefs de file de deux camps qui s’opposent tant sur les choix technologiques que les délais d’acquisition.

Annoncée en août 2022, l’European Sky Shield Initiative (ESSI) rassemble désormais 19 pays désireux de renforcer leur interopérabilité et de mutualiser leurs efforts afin de réduire les coûts d’acquisition. D’un point de vue technique, il est question de doter les pays membres d’un dôme de défense « multi-couches » alliant le système allemand IRIS-T aux Patriot américains et Arrow 3 israéliens. Assurant une défense à la fois courte, moyenne et longue portée, cet Iron Dome européen se veut la réponse aux drones et autres missiles balistiques russes. Olaf Scholz, chancelier allemand et fervent défenseur du projet, souhaite que l’Allemagne montre la voie, engageant des investissements massifs dès cette année. Il peut compter sur l’approbation des Etats-Unis dont la délivrance des licences d’exportation en août 2023 laisse entrevoir une mise en service progressive des premiers systèmes dès 2025.    

Mais si le pragmatisme de la solution allemande a ses arguments, notamment l’urgence de la situation actuelle, certains dirigeants européens tel M. Macron se montrent plus critiques. Ce projet de bouclier antimissile « prépare les problèmes de demain » a-t-il ainsi déclaré en juin 2023 lors d’une conférence sur la défense aérienne de l’Europe organisée en marge du salon du Bourget. Car « ce qui nous vient de tiers non européens est moins maniable » et « sujet au calendrier, […] parfois aux autorisations des pays tiers et dépendant trop de l’extérieur ». Le président français refuse d’entrer dans une situation de dépendance vis-à-vis des technologies américaines, véritables boîtes noires dont seul Washington détient le contrôle véritable. Soutenu par l’Italie, il appelle au contraire à développer et renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe.

Si la France et l’Italie font cause commune, c’est qu’elles ont développé conjointement leur propre système depuis le début des années 2000, le Mamba. Acronyme de « Moyen de défense Anti-Missile Balistique et Aérobie », une nouvelle génération de ce système est en développement par MBDA, missilier européen, et Thales depuis peu. Pour les deux pays, l’enjeu est de taille : l’initiative allemande comporte d’importants risques de concurrence industrielle et technologique.

Quoi qu’il advienne, si ces deux systèmes venaient à cohabiter, la question de leur mise en réseau est cruciale et non résolue à l’heure actuelle. Lydia Wachs, chercheuse au German Institute for International and Security Affairs, insiste sur ce point. Car s’il n’est pas nécessaire que tous les membres de l’OTAN opèrent un même système, le faire sous une architecture commune est absolument indispensable. Et si Paris a un temps espéré pouvoir intégrer la nouvelle version de son Mamba au projet allemand, les discussions avec Berlin restent aujourd’hui encore au point mort.

Ainsi, malgré les déclarations d’intentions, force est de constater que le couple franco-allemand peine à parler d’une seule voix en matière de défense.

Rédacteur : Asselin Louis