Un sujet actuel : Les femmes et les fonctions dirigeantes

Les dirigeants des 28 pays membres de l’Union européenne se sont entendus à Bruxelles le mardi 2 juillet 2019 sur les nominations clés de l’UE : l’ancienne ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, a pris la tête de la Commission européenne (CE) et Christine Lagarde, jusqu’alors directrice générale du FMI (Fonds monétaire international) a été nommée à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Il s’agit bien là d’un changement considérable au sein du paysage politique européen, car, pour l’heure, ces deux postes stratégiques n’avaient jamais été occupés par une femme.

Christine Lagarde et Ursula von der Leyen ont su dépasser le « plafond de verre », un terme qui renvoie à l’ensemble des obstacles créés par des préjugés ou par des principes organisationnels qui, dans diverses organisations (publiques, entreprises privées, associations ou syndicats), empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités (« plafond de verre » ou encore « ségrégation verticale ») et/ou leur empêchent l’accès à certains métiers ou secteurs d’activité (« parois de verre » ou encore « ségrégation horizontale »).

Mais qu’en est-il aujourd’hui de la place des femmes dans le secteur privé ? Quelle est la répartition des hommes et des femmes au sein des comités de direction de leurs entreprises, et plus particulièrement, au sein des fonctions dirigeantes de leurs sociétés ? Les femmes rencontrent-elles plus de difficultés que les hommes à gravir les échelons et ainsi être à la tête de postes à responsabilités ? Existe-t-il des mesures concrètes pour favoriser l’accès des femmes aux fonctions dirigeantes ?

PENDANT LONGTEMPS, UNE FORTE SÉGRÉGATION AU NIVEAU EUROPÉEN

Si la présence des femmes sur le marché du travail n’a cessé de progresser (le taux d‘activité des femmes de 15-64 ans a progressé de 3,2 points entre 2005 et 2015 à 67,6%, alors que celui des hommes est resté stable à 75,5%), il n’en va pas de même pour l’accès des femmes aux fonctions dirigeantes dans le secteur privé. Le marché de l’emploi continue, en effet, d’être marqué par une très forte ségrégation horizontale (visà- vis des secteurs d’activité) et verticale (à l’égard de la hiérarchie) en fonction du sexe et ce, dans tous les États membres de l’Union européenne.

D’après les dernières données d’Eurostat datant de 2017, les fonctions dirigeantes sont encore généralement occupées par des hommes et des disparités existent toujours au sein de l‘Union Européenne (UE). Les pays les plus exemplaires sont ceux d‘Europe de l’Est : la Lettonie a enregistré en 2017 un taux de femmes exerçant des fonctions dirigeantes de 46,3 %, suivie de la Pologne et de la Slovénie avec respectivement 41,8 % et 41,7 %. Du côté de l‘Hexagone, la part des femmes à la tête de hauts postes à responsabilités a même reculé par rapport à 2007 : le taux s‘élevait à 33,5 % en 2017 contre 37,7 % en 2007 (en 1997, le taux était similaire à celui de 2017, soit 33,7 %).

En Allemagne, ce taux était quant à lui de 29,4 %. Le marché du travail allemand reste bel et bien marqué par des disparités entre hommes et femmes et la ségrégation verticale est bien présente. S’il est vrai que les instances dirigeantes des entreprises accueillent de plus en plus de femmes, ces dernières sont en revanche une nouvelle fois sous-représentées. En 2010, dans le secteur privé, seuls 30 % des postes à responsabilités étaient occupés par des femmes, et, en 2015, on ne comptait que 20% de femmes dans les conseils de surveillance des 200 plus grandes entreprises allemandes. Au 1er juillet 2017, seulement 47 femmes siégeaient au sein des conseils d’administration des entreprises cotées aux principaux indices boursiers allemands (Dax, MDax, SDax et TecDax). Parmi ces 160 entreprises cotées en Bourse, 3 seulement sont dirigées par des femmes.

Au niveau des secteurs d’activité, la part des femmes dans les secteurs traditionnellement masculins - à l’instar de l’industrie agroalimentaire, l’automobile et l’énergie - présente des évolutions différentes si l’on compare la situation de l’Allemagne avec celle de la France.

En France, de plus en plus de femmes sont diplômées d’une école d’ingénieurs (30 % des ingénieurs français diplômés en 2015 étaient des femmes), ce qui explique en grande partie leur progression importante dans ces secteurs-là (en 2012, + 4,2 points dans les métiers de l’ingénierie et de cadres d’entreprises, + 4,1 points dans la fabrication d’équipements électroniques et informatiques et + 2,1 points dans les métiers de l’énergie). En revanche, les femmes restent encore surreprésentées dans le domaine des services, des activités financières et du commerce (respectivement 70,5 %, 60% et 47% en 2019). En 2017, les femmes âgées entre 25 et 39 ans sont 54% à détenir un diplôme du tertiaire.

Quant à l’Allemagne, la part des femmes dans certaines filières est nettement inférieure à 30 %. Dans l’industrie automobile, les femmes ne représentent que 16 % de l’ensemble des salariés, alors que la part des femmes diplômées dans les métiers de l’ingénierie s’élève à 30 %. Une ségrégation horizontale malheureusement encore présente de nos jours.

EN RÉPONSE À CE CONSTAT, L´ENTRÉE EN VIGUEUR DE LOIS EUROPÉENNES

Les premières mesures d´égalité homme-femme ont connu un démarrage assez timide à l’échelle européenne.

« L’égalité entre les hommes et les femmes est un droit fondamental, une valeur commune de l’Union européenne et une condition nécessaire pour l’accomplissement des objectifs de croissance, d’emploi et de cohésion sociale de l’UE. Une représentation égale des hommes et des femmes dans la prise de décision symbolise le niveau de maturité politique des sociétés. » (Commission européenne, 2008a, préface).

Sous l’impulsion européenne, différents outils ont été adoptés pour améliorer la situation de la femme sur le marché du travail et leur accès à des fonctions dirigeantes. L’UE a tout d’abord mené plusieurs actions depuis le milieu des années 1990, d´une part par le biais des traités de Barcelone (1995 - reconnaissance non contraignante du droit des femmes), d’Amsterdam (1999 - principe d’égalité dans le droit) et de Lisbonne (2007 - principe d’égalité au travail), et d´autre part en orientant l’utilisation du Fonds social européen (FSE) vers des projets dirigés en ce sens. L’UE avait également adopté pour la période 2006-2011 une feuille de route pour l’égalité entre les hommes et les femmes au sein du paysage européen, qui avait pour objectif de promouvoir l’accès des femmes aux postes à responsabilités, à la fois dans le champ politique et sur le marché de l’emploi (Commission européenne, 2006).

En décembre 2015, la Commission européenne a publié son engagement stratégique pour l‘égalité des sexes 2016-2019. L‘engagement stratégique porte sur cinq domaines prioritaires dont notamment l‘augmentation de la participation des femmes au marché du travail et l‘indépendance économique égale, la réduction des écarts de rémunération, de revenu et de retraite entre les hommes et les femmes et la promotion de l‘égalité entre les femmes et les hommes dans la prise de décisions.

PRÉSENTATION DES ÉVOLUTIONS EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE

A l´échelle nationale, certaines lois ont connu un véritable succès.

« La loi Copé-Zimmermann est un succès ! », tels sont les propos tenus par Agnès Touraine, Présidente de l’Institut français des administrateurs (IFA) dans le cadre du bilan de cette loi française, entrée en vigueur depuis le 27 janvier 2011. En France, la parité a relativement progressé au sein des instances dirigeantes des grandes entreprises. En 2017 est lancé l’indice de mixité des grandes entreprises françaises : cette loi contraint les sociétés cotées et les entreprises de plus de 500 salariés présentant un chiffre d’affaires net supérieur à 50 millions d’euros, à se doter, au 1er janvier 2017, d‘un conseil d‘administration et de surveillance comptant au moins 40 % de femmes (loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance).

En cas de non-respect de cette norme, les entreprises risquent de lourdes sanctions telles que l’annulation des nominations non conformes à l’obligation de parité et la suspension des jetons de présence (rémunération versée aux membres du conseil d’administration). Selon l’Observatoire de la gouvernance des sociétés cotées Ethics & Boards, la féminisation des conseils d’administration et/ou de surveillance a atteint 43,7 % au 1er mars 2019 pour l’ensemble des sociétés du SBF 120 (un indice boursier qui rassemble 120 valeurs, parmi lesquelles les entreprises du CAC 40). L’effet de la loi est indéniable ! La France apparait alors comme « championne » de la féminisation des instances dirigeantes grâce aux quotas imposés dans les conseils d‘administration.

Cependant, des améliorations sont encore nécessaires en termes d’accès des femmes aux fonctions dirigeantes. A ce jour, aucune femme n‘occupe la fonction la plus convoitée de Présidente Directrice Générale (PDG) au sein d‘une entreprise du CAC 40. D‘après l‘Observatoire des multinationales, 12 entreprises du CAC 40 ne comptent aucune femme au sein de leur plus haute instance de direction, et 9 en comptent moins de 10% parmi les plus hauts dirigeants. Néanmoins, la composition du conseil d’administration des sociétés du CAC 40 s’est féminisée ces dernières années en partie grâce à l’adoption de la loi « Copé-Zimmermann » comme indiqué dans le paragraphe précédent. En revanche, on trouve seulement deux femmes sur les 57 PDG, directeurs généraux et présidents de conseils d‘administration qui dirigent aujourd‘hui les géants du CAC 40: Isabelle Kocher (Directrice générale du groupe Engie depuis le 3 mai 2016) et Sophie Bellon (Présidente du conseil d’administration de Sodexo).

Du côté de notre voisin, le Bundestag a également mis en place de nouvelles mesures en adoptant, le 6 mars 2015, une loi portant sur la participation égalitaire des femmes et des hommes aux postes dirigeants dans le secteur privé et dans le service public (en allemand, « Gesetz für die gleichberechtigte Teilhabe von Frauen und Männern an Führungspositionen in der Privatwirtschaft und im öffentlichen Dienst »). Cette norme, proposée par Manuela Schwesig – ministre de la Famille, des Femmes, des Seniors et de la Jeunesse - fixe notamment un quota de 30 % pour environ 108 grandes entreprises - ayant plus de 2 000 salariés - cotées en bourse. À partir de 2016, les entreprises devront attribuer à des femmes les postes qui se libèrent dans les conseils de surveillance. Si les entreprises ne trouvent pas de profils féminins remplissant les conditions nécessaires, les postes resteront inoccupés. La loi s’applique également aux grandes entreprises européennes (par exemple Allianz, BASF ou Axel-Springer), à savoir les SE (societas europaea) qui sont soumises au droit européen et peuvent exercer leurs activités dans tous les États membres de l’UE. De même, les entreprises de plus de 500 salariés devront respecter un quota féminin non fixe réservé pour les postes à la fois dans les conseils de surveillance, les conseils d’administration et les autres instances dirigeantes. Ce quota des 30% imposés dans les sociétés marque bien une nouveauté au sein du paysage allemand.

Bien que des mesures aient été prises afin d’encourager la mixité dans le monde professionnel et faciliter l’accès des femmes aux postes à responsabilités, des problèmes d’ordre culturel apparaissent encore comme un obstacle pour les carrières des femmes.

En effet, l‘équilibre entre vie professionnelle et vie privée est l‘un des principaux défis et l‘un des principaux freins à l‘évolution des femmes en entreprise. Et la France l’a bien compris ! De nombreuses actions ont été mises en place dans le domaine privé afin de favoriser une meilleure articulation entre la vie professionnelle et familiale, telles que la digitalisation facilitant le télétravail, l’incitation du congé parental pour les hommes, la flexibilité des horaires ou encore l’établissement d‘espaces de coworking. De plus, l’arrivée d’un enfant dans une famille en France n’entraine pas obligatoirement la sortie du marché du travail de la mère. La France enregistre un pourcentage important de mères françaises exerçant un emploi rémunéré à temps plein (46% des mères ayant moins de 50 ans) contrairement à l’Allemagne (27%). Les attentes à l’égard des femmes et des mères ont donc évolué dans l’Hexagone, alors qu’en Outre-Rhin, ce modèle culturel semble légèrement difficile à mettre en pratique.

Sans tenir compte de la nette augmentation du taux de l’emploi féminin, l’homme demeure le seul ou le principal soutien financier dans la majorité des couples en Allemagne. Une tendance forte dans ce pays est celle de la place centrale que l’enfant occupe dans la famille. Le rôle de parent, et surtout celui de mère, entraine une grande part de « renoncement ». Dans l’Ouest de l’Allemagne en particulier, l’idée selon laquelle une mère responsable doit prendre un congé parental ou réduire drastiquement son activité professionnelle pendant au moins trois ans après la naissance de l’enfant est toujours fortement ancrée dans les mentalités.

Grâce aux mesures menées en France et en Allemagne qui ont permis de repenser les modes de fonctionnement des entreprises et ainsi de reconsidérer l’égalité hommes-femmes comme un instrument de performance pour les entreprises, la femme occupe progressivement une place importante dans les hauts postes à responsabilités. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ainsi que les modèles culturels, restent, néanmoins, encore des obstacles quant aux carrières des femmes dans le monde du travail - en particulier en Allemagne (rappelons qu’en France, il est culturellement beaucoup plus facile de concilier la vie privée avec la vie professionnelle). Mais le paysage politique allemand tend, de plus en plus, à se féminiser. En 2019, le magazine américain « Time » a pour la 11ème fois désigné Angela Merkel comme l’une des personnalités les plus influentes dans le monde dans son classement annuel, le « Time 100 ». La carrière de la chancelière est unique pour une femme en Allemagne. Une évolution qui aurait été encore impensable il y a 25 ans…

Auteur: Stéphanie Dambor