Une statistique : L´excédent commercial allemand : ses causes et ses conséquences

Il est devenu commun que l’Allemagne figure sur le podium des pays au plus fort excédent commercial, voire qu’elle conserve sa première place des années durant.

Si cette place s’est vue souvent accaparée par la Chine, l’usine du Monde, ces dernières années ont été celles d’une série allemande. Une rétrospective de la dernière décennie fait apparaître en effet un match nul entre l’Allemagne et la Chine avec un total de cinq premières places obtenues, à une exception près en 2018, où cette dernière a cédé sa seconde place à la Russie et sa troisième place à l’Irlande.

Bien que la progression annuelle de son excédent tende à ralentir voire à diminuer entre 2017 et 2018, de -3 points de pourcentage – son excédent s´établissant en 2018 à 271 milliards de dollars soit 6,8% du PIB d’après le FMI –, il est nécessaire de souligner que cette stagnation est l’aboutissement d’une amélioration constante de sa balance commerciale au fil des années, avec un bond réalisé de près de 21 points de pourcentage recensé entre 2013 et 2014.

Alors que l’Allemagne semble émettre certains signes de faiblesses eu égard à un bilan économique dernièrement délivré en demi-teinte (cf. l’article sur « L’économie allemande s’essouffle » rédigé par David Lefèvre), tout semble indiquer que sur le plan commercial, elle ait atteint son apogée.

Dans cette éventualité, il conviendrait de revenir aux fondements lui ayant permis d’atteindre une telle prospérité dans le cadre de ses échanges extérieurs. Nous verrons dans un second temps que cette performance n’est pas sans conséquence et peut, à certains égards, produire des externalités négatives et traduire parfois des intentions politiques particulières.

LES CAUSES DE L’EXCÉDENT COMMERCIAL ALLEMAND

  • La modération salariale et la monnaie unique

Pour comprendre ces deux leviers, il faut revenir à la situation rencontrée par l’Allemagne et ce précisément à l’année de sa réunification en 1990.

Le chômage était alors supérieur à 4 millions de personnes (10% de la population active) et cette situation était en partie imputable aux « dévaluations des devises des autres pays-membres de l’Union européenne contre le mark allemand en 1991-92, lors de la crise du Système Monétaire Européen » d’après l’Observatoire des politiques économiques en Europe ainsi qu’aux hausses salariales destinées à éviter le déséquilibre économique après l’intégration de l’Allemagne de l’Est.

En vue de mettre un terme à cette situation, certains accords ont été passés afin d’agir sur la modération salariale. Cette particularité allemande, introduite par un texte de loi sur la cogestion en 1976 puis réformée en 2000, a permis aux syndicats de siéger aux conseils de surveillance. Ils ont pu prendre conscience des problématiques auxquelles sont confrontées les entreprises comme des enjeux de la compétitivité dans un monde globalisé.

A la fin des années 90, il fut décidé de mettre un terme aux systèmes de négociations salariales à l’échelle des branches pour convenir désormais d’accords de rémunération au cas par cas adaptés à la situation propre des entreprises individuelles.

Dans un autre contexte, on peut citer l’action conjointe menée en 2002 par le Chancelier Gerhard Schröder et Peter Hartz. Ce dernier a présidé une commission constituée de chefs d’entreprises et de syndicats chargée de concevoir un plan de réforme contre le chômage. Cette feuille de route a constitué l’Agenda 2010, concept de réforme du système social et du marché du travail allemand mis en oeuvre entre 2003 et 2005 par le cabinet Schröder II composé du SPD et du Bündnis 90/Die Grünen.

Parmi ces propositions, la plus célèbre, et dans le même temps la plus controversée, Hartz IV, a eu pour vocation de restreindre, de façon drastique, « les prestations pour les chômeurs de longue durée à un taux uniforme, indépendamment des salaires antérieurs ».

Tout cela a eu pour effet de freiner la progression des salaires, s’établissant à 1% par an entre 2000 et 2007, quand celui de l’OCDE était en moyenne de 3,5%.

Les réformes du marché du travail ont conduit à créer un « secteur de bas salaires en Allemagne ». Par « travailleurs à bas salaire » sont pris en considération ceux qui gagnent « au plus deux tiers du salaire horaire brut médian national », ce qui représentait en 2014 en Allemagne 17,2 % contre 15,9 % dans la zone euro.

Le FMI a estimé que le taux de change réel de l’Allemagne (ajusté en fonction de l’inflation) était sous-évalué de 5 à 15 % » grâce notamment aux compressions des salaires rendues possibles par les différentes mesures énumérées ci-dessus, d’après l’Observatoire des politiques économiques en Europe.

L’Euro permet à l’Allemagne de garder ce bénéfice, comme l’expliquait Ben Bernanke en 2015 : « si l’Allemagne utilisait encore le Deutschemark, il est probable que celui-ci serait beaucoup plus fort que l’euro aujourd’hui, ce qui réduirait considérablement l’avantage en termes de coûts des exportations allemandes ».

  • La politique d’austérité budgétaire

On peut également mettre en avant la faiblesse relative des investissements nationaux qui a pour effet de freiner la consommation intérieure et de stimuler les exportations aux dépens des importations. Ainsi, la balance commerciale devient de facto excédentaire. C’est une politique à contre-courant des principes admis qui prévalent en France.

Comme l’analyse Marcel Fratzcher en 2018, économiste allemand et directeur du Deutsche Institut für Wirtschaftsforschung (DIW), « la moitié de l’excédent du compte courant de l’Allemagne reflète un « déficit d’investissement », estimé à 100 milliards d’euros par an ».

L’investissement public représente pour l’heure 1,6% du PIB ce qui en fait un des pourcentages les plus faibles des pays membres de l’OCDE et ce « alors que l’investissement net est négatif depuis 2003 ».

  • Affaiblissement de l’investissement intérieur privé

Nombreuses ont été les entreprises allemandes à investir à l’étranger. Elles ont conduit à détourner la capacité d’investissement de certains acteurs au profit d’autres pays. Ce manque d’investissement privé se fait ressentir principalement dans le secteur des biens non-échangeables et des services et résulte de mesures protectionnistes dans ces différents secteurs d’activités.

A ce sujet, il a d’ailleurs été suggéré par le « FMI, la Commission européenne et l’OCDE une dérèglementation plus ambitieuse des services en Allemagne, de manière à améliorer la concurrence ».

LES CONSÉQUENCES DE L’EXCÉDENT COMMERCIAL ALLEMAND

Les excédents extérieurs de l’Allemagne représentent à euxseuls plus de deux tiers de l’excédent que totalise la zone euro en 2018.

La Commission Européenne par l’entremise de Marco Buti, Directeur général des affaires économiques et financières de la Commission européenne depuis 2008, a déploré le manque reporté de « solidarité » de l’Allemagne vis-à-vis des autres pays de l’UE.

Preuve de l’interventionnisme de la Commission à cet égard : en 2011, l’UE a étendu sa surveillance macroéconomique au-delà des objectifs budgétaires, à travers la « Macroeconomic Imbalance Procedure », qui met en lumière aussi bien les déficits que les excédents extérieurs excessifs.

Les conséquences de l’excédent allemand conduisent effectivement à s’interroger sur les externalités ressenties par les pays alentours.

Le made in Germany allemand couplé à un rapport qualité-prix plus que compétitif a su profiter des politiques de relance de ses voisins, comme l’a révélé en France le plan Mauroy de 1981

Il convient d’éluder les accusations portées à tort, à l’encontre de la politique économique allemande, dont certains la juge comme « mercantiliste » et la décrive à ce titre comme un état usant d’instruments protectionnistes.

Au sein d’une union monétaire, il est en effet difficile d‘isoler un pays en particulier. « Chaque pays doit plutôt être considéré comme faisant partie de la zone monétaire dans son ensemble ». A noter également que la BCE n‘est pas intervenue unilatéralement sur les marchés des changes depuis plus de quinze ans.

Si pour certains, l’excédent est le résultat d’une politique savamment réfléchie et sciemment dissimulée, il ne fait, en réalité, que poser un constat auquel le gouvernement allemand a répondu par les mesures suivantes :

  • Entre 2013 et 2017, les fonds du budget fédéral affectés aux investissements ont augmenté de près de 45 %.
  • En outre, le gouvernement fédéral et les Länder ont alloué un total de 4 milliards d‘euros à l‘extension du réseau haut débit et 17 milliards d‘euros ont été accordés dans des mesures visant à l’efficacité énergétique de différentes infrastructures et ce jusqu’en 2020.
  • Entre 2014 et 2016, on enregistre une augmentation des salaires réels de l‘ordre de 2 à 2,5% depuis la réunification de l‘Allemagne. A noter également que les salaires réels ont continué d‘augmenter en 2017, malgré la normalisation de l‘inflation des prix à la consommation.
  • Un salaire minimum légal (Mindestlohn) général a été introduit en 2015 et a été augmenté en 2017.

Ces dernières mesures démontrent bien l’effort porté par l’Allemagne pour soutenir son économie et rétablir certains déséquilibres et ainsi réduire son excédent commercial en veillant toutefois à ce que le surplus alloué soit injecté dans des projets sensés et en phase avec les préoccupations de notre temps. Il est évident que ces mesures ne suffiront pas à absorber les surplus accumulés depuis près de vingt ans mais elles ont toutefois le mérite d’être initiées et discutées au sein du gouvernement.

Aujourd’hui, alors que les produits allemands ont un avantage qualité prix moins compétitif, le protectionnisme fait son apparition: l´Allemagne va avoir du mal à maintenir son haut niveau d´excédent commercial, ce qui ne sera pas sans conséquence sur son modèle économique.

Auteur : Henry-Lois Kerdraon